Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/12/2009

PARESSER OU NE RIEN FAIRE (II)

Je tiens de la paresse la philosophie, de l'indolence le comportement. Mais il m’a fallu travailler pour ça ! Avant, je n’étais qu’un amateur paresseux, il a fallu que je cultive l'idée qu'il ne faut rien faire en m'abstenant régulièrement de faire. Ne rien faire impose un effort soutenu mais on s’aperçoit vite qu’heureusement il porte ses fruits.

 

Le paresseux nourrit sa paresse de l'idée que, sans elle, il serait le plus génial des créateurs, grâce à elle, il est dispensé d’en faire la preuve. Il ne se berce pas d'illusions, il se contente de se bercer tout court, sur son transat. Il sait qu'il n'utilise qu'une partie infime de ses potentialités, mais n'en tire pas gloire.

 

Le paresseux pourrait finir par douter qu'il peut accomplir quelque chose de grand, heureusement il ne s'en soucie pas. Il a l'orgueil de ses défauts, la béatitude de ses indolences. Chez certains, la paresse estompent le don, diluent les qualités, affichent davantage les travers. C'est triste.

 

L’inaction est un art mais également une technique. Elle est amorcée par un don et entretenu par une pratique. Qui s'abstient trop longtemps de ne rien faire prend le risque de basculer dans le faire. Il convient de battre le rien faire tant qu'il est chaud.

 

Je suis comme une plage qui s'étire au soleil. Lorsque je ne suis pas la mer ou la plage elles-mêmes, je les contemple de loin, car y aller supposerait de se déplacer.

 

La paresse existe en écriture : elle consiste à laisser parler le narrateur. Dans Manon Lescaut, histoire du chevalier des Grieux, le narrateur cède la parole à des Grieux, ce qui représente pour l'auteur un mode de narration un peu facile, proche du rien faire. "Je m'attardai au lit pendant quelque temps, contemplant paresseusement cette vision vaporeuse et indistincte, essayant de reconstituer ces traits qui se confondaient dans mes souvenirs avec ceux de plusieurs statues d'Antinoüs. Analysant mes impressions, j'avais la conscience d'une sensation nouvelle, d'un vague malaise mêlé d'inquiétude. Je ressentais un vide en moi, sans pouvoir comprendre si ce vide était dans mon coeur ou dans ma tête. Je n'avais rien perdu et pourtant je me sentais seul, abandonné, que dis-je dépouillé. J'essayai de m'expliquer à moi-même mon état morbide, …" où l'on voit bien que tout cela est du rien faire, mais avec mauvaise conscience. Très mauvais.

 

Contre exemple, extrait de LA CUREE : "Renée avait reposé sa tête, les yeux demi-clos, regardant paresseusement des deux côtés de l'allée, sans voir. A droite, filaient doucement des taillis, des futaies basses, aux feuilles roussies, aux branches grêles. (...) Ce coin de nature, ce décor qui semblait fraîchement peint, baignait dans une ombre légère, dans une vapeur bleuâtre qui achevait de donner aux lointains un charme exquis, un air d'adorable fausseté. Sur l'autre rive, le Châlet des îles, comme verni de la veille, avait des luisants de joujou neuf ; (...) Accoutumée aux grâces savantes de ces points de vue, Renée, reprise par ces lassitudes, avait baissé complètement les paupières, ne regardant plus que ses doigts minces qui enroulaient sur leurs fuseaux les longs poils de la peau d'ours. " Rien à ajouter, voilà du rien faire de qualité. Attention, je ne dis pas que Renée soit un exemple à suivre, elle a des velléités de faire trop fréquentes, qui finiraient par exciter sa volonté !

 

On entend parfois que le paresseux est un gros travailleur. Faux ? Vrai ? Faux vrai ? La paresse freinerait la production en alimentant le vice ? Elle serait une façon d'aménager son temps de travail, dans l'esprit au moins ? Tandis que Karl Marx distinguait de façon intéressante ouvrage et travail, son gendre et disciple, Paul Lafargue, également gros travailleur, publiait en 1881 son texte le plus célèbre : Le droit à la paresse.

 

La paresse est un péché capital, aurait pu dire Marx, grand spécialiste de la chose. Le péché capital est nommé ainsi parce qu'il est à la source de tous les autres. Au fait, quels sont les six autres ? Qui le sait ? Eh bien, ce sont avarice, luxure, envie, gourmandise, colère, orgueil, avarice, adultère, envie, ce qui fait bien sept.

 

Des images de la paresse ?

 

Loir. Couleuvre. Le lierre nonchalant sur une façade au soleil, l’éléphant de mer (ou phoque à poil ras). Et aussi : le paresseux, bestiole préférée de Gaston Lagaffe, mammifère brésilien aux longs poils mais aux gestes mesurés, il a la cosse et dort 20 H par jour. Et encore : un époux gâté, dit COLETTE dans LA VAGABONDE.

 

Et encore : le lézard taiseux qui prend son temps, le transatlantique silencieux sortant du port qui se laisse traîner par un remorqueur nerveux à gros nez rond et aux hublots écarquillés, une aurore d'automne, que DAUDET qualifie de paresseuse, propice à demeurer au lit...

 

Quelles sont les aptitudes nécessaires à la paresse ? Lenteur, confort, chaleur, retraite, oisiveté, lâcheté, mollesse, apathie, inertie, langueur, vagabondage, indifférence, dépression, assoupissement, engourdissement, atonie.

 

Quelle est la qualité nécessaire à un bon paresseux ? La mémoire, pour se souvenir de ne rien faire. Mais CONDILLAC, qui n'est pas une voiture, nous rappelle que la mémoire s'étiole dans la paresse. Terrible dilemme : comment se souvenir de ce qu'il faut faire pour ne rien faire si la mémoire ne peut s'entretenir qu'en faisant.

 

VACHARD en ancien français signifiait mou, paresseux, mais ça n'a rien à voir, sinon que les choses se transforment. Une expression utilisée surtout dans le secteur tertiaire: il est urgent de ne rien faire. Face à un problème épineux, on peut compter sur un développement extérieur, qui changera les paramètres, voire réglera carrément le problème. C’est évidemment l’atout maître du paresseux dans tous les domaines.

 

Le paresseux ne rechigne pas à afficher des convictions fort peu travaillées, issues d'un effort minimum. Il assènera ses points de vue avec la force puisée dans la fragilité de ses arguments.

 

Le paresseux a besoin d'alibi, c'est la raison pour laquelle i lit parfois, sachant, comme le remarque STENDHAL dans son journal, que « lire permet au cerveau de paresser et de ne rien créer pendant ce temps ». Musicien de génie comme excellent bricoleur, le paresseux s'abstiendra évidemment de dire qu'il sait la musique et connaît le bricolage. Bref, le paresseux sait que, s’il voulait…

 

Ne jamais considérer comme définitivement acquises ses aptitudes à la paresse, les entretenir sans cesse par des exercices minutieux est préférable. Ne rien faire réclame aussi un peu de savoir faire… Le rien faire appartient donc au domaine du faire, auquel il ne s'oppose pas, mais dont il est une des facettes.

 

Avant de faire, il faut réfléchir, hésiter sur la marche à suivre, semer des embûches sur sa route, se faire peur, etc. bref ne pas se brancher immédiatement. Quand on branche un matériel sur l’ordi, une fenêtre invite à choisir une action dans une liste mais propose aussi, judicieusement : ne rien faire.

 

Les commentaires sont fermés.